C'est en 1997 qu'Invader a commencé à coller ses mosaïques sur des murs d'immeubles. En 20 ans, 3400 œuvres dans 70 villes. Simplicité de la forme et persévérance ont fini par payer. Mais l'argent et la notoriété ne se promènent jamais sans leur fidèle compagnon : l'esprit petit bourgeois.

 

Certains artistes prennent la notoriété d'assaut. Sans attendre l'avis du monde de l'art et de ses poussiéreuses institutions, ils installent d'autorité leurs œuvres dans la rue, à la manière des musiciens qui font la manche dans l'espace public.
Si par extraordinaire le succès est au rendez-vous du côté du monde de l'art et de ses poussiéreuses institutions, les œuvres installées dans la plus parfaite illégalité se retrouvent dans un statut juridique étrange : bien qu'elles n'appartiennent à personne, elles valent des sous.

Ne sommes-nous pas devant le cas de ces fruits qui tombent d'un arbre sur un chemin communal? D'un objet abandonné sur un trottoir? Les règles concernant l'ancien glanage, les choses sans maître ou les res derelictae ne peuvent-elles s'appliquer aux mosaïques d'Invader?
Certes non, quand ces objets abandonnés peuvent se vendre pour plusieurs dizaines de milliers d'euros et qu'une spéculation bien menée peut leur faire atteindre un jour des prix pharamineux. Car dans le monde de l'art contemporain (qui dévoile le fondement de toute notre société), c'est le prix de l’œuvre qui lui donne sa valeur, formule qui semblera sans doute digne de La Palice, mais qui est pourtant à l'exact opposé des opinions anciennes.

Aujourd'hui, le seul moyen d'attaquer ceux qui décollent les œuvres d'Invader est de leur reprocher de se faire passer pour des fonctionnaires municipaux chargés du nettoyage, et ceci afin de... nettoyer! Délit dont on attend avec gourmandise la sanction.
Une modification de la loi est pourtant difficile à imaginer, puisqu'il conviendrait de protéger (classer à l'Inventaire ?) tout ce qui est abandonné dans la rue, écrit sur les murs ou même déféqué sur un trottoir (Manzoni ?) en attendant de voir si le marché lui confère un statut (prix) respectable ou s'il s'agit bien d'une chose dénuée de valeur (financière).

Invader et ses agents n'en sont pas à leur première procédure. L'artiste qui dépose négligemment ses œuvres éphémères au coin des rues, bravant la maréchaussée au nom de la poésie et signant d'un pseudonyme pour fuir la notoriété, devient, une fois celles-ci bien cotées, plus que chatouilleux sur le droit d'auteur. Et le mystérieux Invader redevient, pour défendre ses sous, Franck Slama (né en 1969).

PS. On s'offusque qu'on puisse s'approprier ces œuvres maintenant qu'elles valent des sous. Pourtant, l'ancien droit de glane stipulait qu'on ne pouvait ramasser qu'après la récolte. Cueillir des fruits avant celle-ci relevait du vol. (article R26 10 de l'ancien code pénal)

 

 

Vol d’œuvres de l’artiste Invader : la mairie de Paris porte plainte contre les faux agents municipaux

Ces faux agents ont décollé et volé des fresques en mosaïques réalisées par le street artiste Invader dans la capitale.

Ils croyaient s’être fait un business juteux. C’était sans compter la puissance des réseaux sociaux, les fans de street art et surtout la colère de la Mairie de Paris !
Lundi, un représentant de l’Hôtel de ville portera plainte « contre X pour usurpation de fonction ». Dans le collimateur ? Deux hommes qui se font passer pour des agents la DPE (Direction de la propreté et de l’eau de la ville de Paris), censés assurer la propreté et l'entretien de l'espace public et qui en fait sont deux pilleurs d’œuvres du street artiste Invader. En guide de riposte, des internautes n’ont pas hésité à diffuser leur photo sur Twitter !
Depuis une dizaine de jours, ces pseudo-agents municipaux, arborant des gilets jaune fluo et roulant en Mercedes ( !) ont décollé, avec un certain culot, en plein jour, plus d’une vingtaine de fresques de « Space Invaders » - petits bonhommes en mosaïque pixel inspirés du jeu vidéo de 1978.
Une oeuvre d’Invader adjugée 250 000 euros
«Évidemment, analyse Mehdi Ben Cheikh, l’incontournable galeriste parisien de street art, qui connaît bien l’artiste, ce pillage, c’est du business. Une fresque peut se revendre quelques milliers d’€. La cote d’Invader a flambé ses dernières années ». En 2016, une de ses œuvres a été adjugée 250 000€ chez Artcurial !
Invader, lui, ne peut rien faire pour défendre ses mosaïques collées la nuit, souvent sans autorisation ! Il avait pourtant tenté en 2016 un procès contre deux pilleurs. La justice l’a débouté.
Reste que la mairie de Paris, qui aime les mosaïques d’Invader, a eu la vie dure ces derniers jours. Elle n’a eu de cesse de marteler que ces agents étaient des usurpateurs. Vendredi, sa porte-parole, excédée, a cependant réussi à convaincre un journaliste particulièrement coriace : « De toute façon, les employés de la ville ne roulent pas en Mercedes !»
  leparisien.fr 5 août 

 5 août 2017
On ne peut résumer l’œuvre de Vito Acconci (1940-2017) à son Seedbed. Je n'évoque ici cette performance que parce que je l'avais oubliée dans le billet sur les expositions vides.
En effet, le public qui pénétrait dans la galerie Sonnabend en janvier 1972 (et non en 1971 comme on l'indique souvent par erreur) pouvait penser se confronter de nouveau à un pur travail sur le vide. Seuls les soupirs et les mots proférés à voix basse qui s'échappaient d'un unique haut parleur lui faisaient réaliser qu'il se trouvait partie prenante d'une performance sophistiquée.

I'm turned to myself: turned onto myself: constant contact with my body (rub my body in order to rub it away, rub something away from it, leave that and move on): masturbating: I have to continue all day—cover the floor with sperm, seed the floor.



Le public de la galerie Sonnabend croyait sans doute dans un premier temps se confronter à la problématique du vide. Seuls les chuchotements diffusés par le haut parleur pouvaient l'orienter vers la véritable dimension de la performance.




Un faux plancher avait été installé dans la salle d'exposition. Deux après midi par semaine, l'artiste se glissait dans le faible espace ménagé entre sol et plancher, et durant de longues heures, ils se masturbait en évoquant le public qui marchait au dessus de lui.
Contrairement à ce que prétendent obstinément les critiques, il ne pouvait évidemment se livrer à cette seule activité que pour un temps limité. On ignore absolument comment il occupait son temps pendant ses périodes de récupération, ce qui laisse place à de nombreuses suppositions.

Une video a enregistré cette performance. Elle n'est, bien sur, pas à mettre entre toutes les mains.


Sous le faux plancher de la galerie Sonnabend, Vito Acconci se tripotait, instaurant d'autorité une intimité entre l'artiste et son public.





En 2005, Marina Abramović a reproduit Seedbed au Musée Guggenheim. L'effet produit était totalement différent, l’œuvre étant alors connue du public. D'autre part, un haut parleur de grande taille avait été installé afin que les soupirs de la performeuse emplissent tout l'espace.

“Ohhhhh, yes, I love you…. Oh,o h, yes, I need you…. I need your permanent erection … uunn … ohh,”


   Dans Undertone (1972), Vito Acconci se tripote en nous faisant partager
ses fantasmes à propos d'une femme imaginaire, assise à la place du
spectateur.


Vito Acconci a été récompensé par de nombreux prix et bourses. En 2000, il a même été nominé pour le prestigieux prix Hugo Boss.


Fontaine, de Marcel Duchamp et Pinoncelli, 2003. Porcelaine et peinture noire. Inscriptions : R.MUTT / 1917. Pinoncelli / 1993. Marcel Duchamp. et Pinoncelli, 1917-1993. M.O.M.A.C. de Nice. L’œuvre de Duchamp et Pinoncelli est enfin présentée dans un musée.



Fountain


Que Mr Mutt ait fabriqué ou non la fontaine de ses propres mains n’a aucune importance. Il l’a CHOISIE. Il a pris un objet de la vie quotidienne, l’a installé en faisant oublier son caractère utilitaire par un nouveau titre et un nouveau point de vue -- et il a créé une conception nouvelle de cet objet.
Marcel Duchamp, The Blind Man

La revue The blind man n'a eu que deux numéro. "The only works of art America has given are her plumbing and her bridges" semble la répétition de la phrase prêtée à Pierre-Joseph Zimmerman en 1842 pour refuser l'entrée de Gottschalk au Conservatoire de Paris : "L'Amérique ne sait produire que des machines à vapeur".

 


Acheté chez le fabricant J. L Mott, le premier urinoir utilisé par Duchamp est exposé à New York dans la galerie d'Alfred Stieglitz en 1917. L'objet est couché, perdant ainsi sa fonctionnalité pour accéder au statut d'œuvre. Il est perdu peu après, et la photographie de Stieglitz est la seule trace qui subsiste de cette œuvre avec de rares photographies prises dans l'atelier de Duchamp.



L’œuvre originale photographiée en 1917




S'il présente l'œuvre, Marcel Duchamp ne s'en prétend pas l'auteur. Ce serait une de ses amies qui aurait envoyé l'urinoir pour l'exposition de la Society of independants artists de New-York, un salon sans jury où n'importe quelle œuvre pouvait être exposée... à condition d'être considérée comme telle. Ce ne fut pas le cas de l'urinoir qui fut oublié dans un couloir tant peu de gens étaient alors à même de percevoir sa dimension artistique.


Les indépendants sont ouverts ici avec gros succès. Une de mes amies sous un pseudonyme masculin, Richard Mutt, avait envoyé une pissotière en porcelaine comme sculpture. Ce n’était pas du tout indécent, aucune raison pour la refuser. Le comité a décidé de refuser d’exposer cette chose. J’ai donné ma démission et c’est un potin qui aura valeur dans New York. J’avais envie de faire une exposition spéciale des refusés aux Indépendants. Mais ce serait un pléonasme ! Et la pissotière aurait été « lonely » à bientôt affect.
11 avril 1917, lettre de M. Duchamp à sa sœur


Mais Fountain fut perdu peu de temps après son exposition. Peut-être un amateur chanceux le découvrira-t-il dans une brocante.
A partir des années 50', à l'occasion de rétrospectives, Duchamp autorisa la création de répliques de Fountain qu'il signa et data R. Mutt 1917 comme il l'avait fait pour l'original. Le modèle de 1917 n'étant plus produit, on se contenta dans un premier temps d'acheter d'autres modèles dans les magasins.
  
Cependant, collectionneurs et conservateurs, désireux d'exposer une icône de l'art contemporain et férus d'authenticité, entreprirent de faire réaliser des urinoirs d'après le modèle photographié en 1917, reproductions qui furent elles aussi datées et signées R. Mutt 1917 par le complaisant Duchamp.

C'est l'une de ces répliques officielles qui fut achetée en 1986 par le Centre Pompidou, pour la somme d’un million trois cent mille francs (263455 euros).



Fontaine, de Marcel Duchamp, 1917-1964. Faïence blanche recouverte de glaçure céramique et de peinture. Inscriptions : S.D. : R.MUTT / 1917. S.D.R. : Marcel Duchamp. 1964. Cette réplique, exécutée d'après la photographie de l'original prise en 1917 par Alfred Stieglitz, et réalisée sous la direction de Marcel Duchamp en 1964 par la Galerie Schwarz de Milan, en constitue la 3e version. CNAC, Paris.

 
Puisqu'on était passé d'un objet industriel élevé au rang d'œuvre d'art par le seul fait d'avoir été choisi par un artiste à une reproduction à l'identique et en de rares exemplaires d'une œuvre disparue, l'objet présenté reprenait l'antique statut d'œuvre unique, sacrée, sortie des mains d'un artiste inspiré des muses... tout en se prétendant exemplaire lambda d'un modèle tiré à la chaîne.

Le fétichisme ne s'arrête pas là, puisqu'il existe une foule de répliques ou semi répliques de tailles variables qui vont de la porcelaine au papier mâché en passant par la terre cuite, sans oublier les plans des répliques paraphés par le maître, que les professionnels cataloguent et recensent consciencieusement dès qu'elles entretiennent le moindre rapport avec Marcel Duchamp. Ainsi l'idée originelle réactualisa-t-elle le culte des reliques où les prépuces de Notre Seigneur Jésus Christ étaient pieusement présentés dans de coûteux reliquaires et où la sainteté s'étendait des saints à leurs ossements, aux linges qu'ils ont portés et jusqu'à leur représentation devant laquelle se prosternait le croyant.



Fontaine, de Marcel Duchamp, 1917-1964. Faïence blanche recouverte de glaçure céramique et de peinture. Inscriptions : S.D. : R.MUTT / 1917. S.D.R. : Marcel Duchamp. 1964. Cette réplique, exécutée d'après la photographie de l'original prise en 1917 par Alfred Stieglitz, et réalisée sous la direction de Marcel Duchamp en 1964 par la Galerie Schwarz de Milan, en constitue la 6e version. National Museum of Modern Art, Kyoto.



Pinoncelli


En 1993, l'artiste Pinoncelli urine dans l'urinoir de Duchamp et lui donne un coup de marteau. La miction a ramené l'objet à son état originel d'ustensile sanitaire avant que le coup de marteau ne lui confère à nouveau un statut d’œuvre d'art, mais œuvre cette fois co-réalisée par les deux artistes. C'est en gros l'interprétation que Pinoncelli donne de son geste, interprétation avec laquelle les juristes devront se débrouiller.

L'urine a refait de l'urinoir une simple pissotière. Pinoncelli


Il n'appartient pas aux juges de décider de ce qui est de l'art et de ce qui n'en est pas. Ils doivent donc s'en tenir à la définition du droit éclairée par la jurisprudence : une œuvre d'art, pour être protégée, doit être originale et refléter la personnalité de l'auteur, deux qualités que personne ne peut voir dans un objet industriel, même reproduit.
Pinoncelli est donc condamné pour dégradation d'un objet d'utilité publique (l'utilité tenant ici dans le fait qu'il était exposé, comme, placé dans un endroit plus habituel pour ce type d'objet, son utilité aurait tenu à sa fonction sanitaire).

Cette condamnation n'est évidemment pas du goût du Musée et de son assureur. Estimant que l’œuvre a perdu 60% de sa valeur, ils réclament cette somme en sus des 16 336 F (3424,18 euros) de la restauration.

Le raisonnement juridique prend alors une tournure qui lui permet de figurer dans les annales : puisque Pinoncelli entend, par son coup de marteau achever l’œuvre de Duchamp, il ne peut sérieusement nier sa valeur artistique et donc son prix. 

Si uriner dans un urinoir peut rendre l'objet exposé comme une œuvre d'art à son usage premier, nul ne peut prétendre qu'une pissotière s'utilise à coups de marteau. TGI Tarascon, 20 novembre 1998


Pour que soit reconnu le caractère artistique de son acte, le Tribunal se dit contraint de le condamner à verser des dommages et intérêts à l’État :

Ainsi seulement peut prendre tout son sens la revendication de Pinoncelli de voir son geste artistique faire corps avec l’œuvre de Duchamp. TGI Tarascon, 20 novembre 1998


Fontaine, dite "Deuxième version", de Marcel Duchamp, 1917-1950, New-York. Faïence blanche recouverte de glaçure céramique et de peinture. Inscriptions : R.MUTT / 1917. Ce modèle, lui aussi acheté dans le commerce, est différent de l'original de 1917. On remarquera pourtant que l'idée reste identique. Dans l’exposition de 1950, cette réplique fut exposée accrochée à un mur dans sa position fonctionnelle et très bas, afin, dit Duchamp, que des enfants puissent l’utiliser. Philadelphia Art Museum.


En 2006, lors d'une exposition Dada qui présente l'urinoir, Pinoncelli écrit dada sur l'objet puis le frappe de nouveau d'un coup de marteau.
Cette fois, l'artiste se déclare outré qu'on ait "restauré" une œuvre dont il était devenu le co-auteur et que son nom ne soit pas associé à celui de Duchamp. 

En restaurant l'urinoir, le Centre Pompidou a contrevenu au droit moral de Pinoncelli. Emmanuel Pierrat, avocat de Pierre Pinoncely


Il est condamné, en première instance, à 214 000 euros de dommages et intérêts, et en appel, à 14 352 euros pour frais de restauration, accompagnés de trois mois de prison avec sursis, et mise à l’épreuve, mais le Centre Pompidou se portant partie civile, du civil s'ajoute au pénal. Le coût des réparations est estimé à 14 352 euros et l'avocate du Centre réclame 427 000 euros pour préjudice de dépréciation (15 % de la valeur de l’œuvre, estimée alors à 2,8 millions d’euros).


En 1993, avant mon coup de marteau, l'urinoir était évalué à 450 000 francs (70 000 euros). Après mon acte, on m'a dit qu'il avait perdu de sa valeur, qu'il était déprécié. Maintenant, cette même oeuvre est évaluée à 2,8 millions d'euros. Alors, de quelle dépréciation parle-t-on ?
Pierre Pinoncely intervenant durant le procès


Il est condamné en première instance à trois mois de prison avec sursis, aux frais de restauration et à 200 000 euros pour le préjudice. Il n'écope, en appel, que des trois mois de prison avec sursis, de deux ans de mise à l'épreuve et doit payer les 14 352 euros de frais de restauration.



Fontaine, de Marcel Duchamp, 1917-1964. Faïence blanche recouverte de glaçure céramique et de peinture. Inscriptions : S.D. : R.MUTT / 1917. S.D.R. : Marcel Duchamp. 1964. Cette réplique, exécutée d'après la photographie de l'original prise en 1917 par Alfred Stieglitz, et réalisée sous la direction de Marcel Duchamp en 1964 par la Galerie Schwarz de Milan, en constitue la 2e version. Tate Modern, Londres.




Au geste qui aura été inaugural de Duchamp puisqu'effectivement il aura engendré la collection qui constitue le propos visible de l'exposition, Pinoncelli substitue ici l'effraction temporelle de son propre geste, un geste qui se veut une tentative d'annulation rétroactive et symbolique de l'histoire.
En effet, rendre l'urinoir à sa fonction "naturelle", le débaptiser de son nom propre (Fountain) et de sa définition conceptuelle (le "Ready-made"), c'est tenter d'effacer à la fois l'événement fondateur et la multiplicité de ses effets après-coup (la "collection" exposée); à la fois effacer Duchamp (comme Rauschenberg aura effacé De Kooning) et effacer le Musée comme son extension.

Figure de l'altérité : Duchamp et son autre, à propos d'un incident de musée, par Miguel Egana, in X, l'oeuvre en procès. Tome 1, Croisements dans l'art, 1996




Pour le droit, l'art a deux caractéristiques. Il doit être original et, pour se distinguer d'une nouveauté brevetable, doit exprimer la personnalité de son auteur.
L'urinoir n'est pas original, puisqu'il est acheté dans un magasin et produit en série ; il n'exprime la personnalité de l'auteur que parce qu'il a été choisi et présenté au public par lui. La création consiste donc uniquement dans ce choix qui aurait tout aussi bien pu se porter sur un autre objet (un séchoir à bouteilles par exemple). Dans cette logique, l'objet ne peut coûter que son prix dans le commerce. Il n'est pas non plus nécessaire de le restaurer s'il est frappé à coups de marteau puisqu'il suffit de s'en procurer un autre.



Porte bouteilles, Marcel Duchamp, 1914. Fer galvanisé. L'original, perdu, avait été acheté au Bazar de l'Hôtel de Ville en 1914. Des répliques ont été réalisées sous la direction de Marcel Duchamp en 1964 par la Galerie Schwarz, Milan. L'une d'elles vient d'être vendue pour une somme inconnue mais sans doute astronomique.



Le Musée fait intervenir une autre dimension, la dimension symbolique, dimension qui, seule, fait de l'objet qu'il détient dans ses collections une œuvre d'art et non un quelconque instrument sanitaire. C'est cette dimension qui aurait été atteinte par l'action de Pinoncelli : cet objet était un pur produit de série acheté dans un magasin, vierge de toute utilisation, et Pinoncelli, en y urinant et en le brisant, l'aurait souillé. Raisonnement absurde si l'on se souvient qu'il ne s'agit pas d'un objet industriel fabriqué en série, mais d'un objet réalisé en treize exemplaires d'après une photo de l'original disparu.



Fontaine, de Marcel Duchamp, 1917-1964. Faïence blanche recouverte de glaçure céramique et de peinture. Inscriptions : S.D. : R.MUTT / 1917. S.D.R. : Marcel Duchamp. 1964. Cette réplique, exécutée d'après la photographie de l'original prise en 1917 par Alfred Stieglitz, et réalisée sous la direction de Marcel Duchamp en 1964 par la Galerie Schwarz de Milan, en constitue la 4e version



Aussi bouffonne que paraisse son attitude, le musée ne pouvait se comporter autrement. D'abord parce qu'ayant acheté cet ustensile pour une somme qui en dépassait largement la valeur usuelle, il ne pouvait demander le prix d'un urinoir du commerce sans paraître inconséquent. Ensuite parce que les conservateurs se seraient trouvés responsables, non d'une prestigieuse collection dont l'œuvre de Duchamp était un fleuron, mais détaillants de matériel sanitaire.
Imaginons ces personnes, pour la plupart issues de bonnes familles, fières d'exercer une profession respectée, soudain réduites à ne plus s'occuper que d'urinoirs qui seraient des urinoirs, de porte bouteilles qui seraient des porte bouteilles, de restes de pique nique qui seraient des restes de pique nique, de tas de fripes qui seraient des tas de fripes, quand bien même ces éléments resteraient porteur d'une valeur symbolique, puisque cette valeur ne serait plus alors liée qu'au seul discours accompagnant leur exhibition, tout comme le texte d'un livre est indépendant de son support de papier.



Fountain, refaite en 1964, est devenue de facto l'original de cette œuvre si essentielle. La détruire est donc aussi grave que de briser la Pietà de Michel-Ange. Alfred Pacquement, directeur du Musée d'art moderne/Centre de création industrielle. (Le Monde du 20 janvier 2006)


Pinoncelli joue admirablement la partie Duchampienne. Cet objet rendu œuvre par le choix de l'artiste, il le rend à sa sécularité en y pissant, puis le sanctifie à nouveau par son coup de marteau. Il vient s'oppose ainsi au pouvoir que s'est arrogé l'institution muséale. Celle-ci se doit de sévir. Elle réclame à l'arrogant qui lui dispute son privilège une somme grotesque pour qui voit en quoi consiste le travail d'un Duchamp qu'elle semble prendre pour un plombier de luxe.

Si l'affaire Pinoncelli ne peut émouvoir un amateur d'art, elle ne peut que choquer un amateur de musées. C'est en effet la bienséance qui est attaquée ici. Brisant la distance entre le public et l'œuvre, Pinoncelli entend participer à la création, et ceci sans l'aval de l'institution. Or l'institution, le galeriste influent, le critique, sont dotés, dans l'art contemporain, du pouvoir sacramentel conféré aux prêtres dans le domaine religieux : c'est grâce à ce pouvoir que tel urinoir est une œuvre majeure quand les autres demeurent des urinoirs.





Urinoir Aubagne 2 ovoïde 43x28 blanc petit modèle avec bonde et jeu de fixations Réf. 00363900000100. Marque Allia. Céramique. 2013.




Ma Fountain/pissotière partait de l'idée de jouer un exercice sur la question du goût : choisir l'objet qui ait le moins de chance d'être aimé : une pissotière, il y a très peu de gens qui trouvent ça merveilleux ; car, le danger, c'est la délectation artistique. Mais on peut faire avaler n'importe quoi aux gens. M. Duchamp. in Marcel Duchamp : une vie d'artiste de Marc Partouche



Chronologie


1917

Fountain est refusé par les organisateurs du salon de la Society of independants artists de New-York. Il est exposé dans la galerie d'Alfred Stieglitz.


1950

A l'occasion d'une exposition, un nouvel urinoir est acheté, signé R. Mutt 1917 par Duchamp et exposé.


1964

13 urinoirs sont fabriqués pour la Galerie Schwarz de Milan. Alors que les urinoirs précédents avaient été achetés dans le commerce, cette fois, un modèle est réalisé à la main d'après la photo de Stieglitz, puis moulé et recouvert de glaçure céramique.


1986

Le CNAC achète le 3ème exemplaire des urinoirs Schwarz.


1993

Le 24 août 1993, le Fountain du Centre Pompidou est montré à Nïmes dans l’exposition inaugurale du Carré des Arts, L’Objet dans l’art au XXème siècle. Pierre Pinoncely, alias Pinoncelli urine dans l'objet et lui donne un coup de marteau.

Le 26 août 1993, Pierre Pinoncely comparait devant le Tribunal correctionnel de Nîmes qui le condamne pénalement pour dégradation d’un objet d’utilité publique à un mois de prison.

L'objet est restauré pour la somme de 16 336 F (3424,18 euros)
L'assureur (AXA) estime que l'œuvre a perdu 60% de sa valeur.


1998

Tarascon, 20 novembre 1998. Le Tribunal de Grande Instance condamne Pierre Pinoncely à rembourser à AXA le prix de la restauration de Fountain (16336 francs (3424,18 euros)) ainsi que les 270 000 francs (56594 euros) correspondant aux 60% de perte de valeur de l’œuvre de Duchamp consécutive à son geste.


2006

Le 4 janvier 2006 au Centre Pompidou, lors de l’exposition Dada. Pinoncelli écrit Dada sur l'objet, puis le frappe à coups de marteau.
Il est condamné, en première instance, à 214 000 euros de dommages et intérêts, et en appel, à 14 352 euros pour frais de restauration, accompagnés de trois mois de prison avec sursis, et mise à l’épreuve.
Le Centre Pompidou se portant partie civile, du civil s'ajoute au pénal. Le coût des réparations est estimé à 14 352 euros et l'avocate du Centre réclame 427 000 euros pour préjudice de dépréciation (15 % de la valeur de l’œuvre, estimée alors à 2,8 millions d’euros). Il est condamné en première instance à trois mois de prison avec sursis, aux frais de restauration et à 200 000 euros pour le préjudice. Il n'écope, en appel, que des trois mois de prison avec sursis, de deux ans de mise à l'épreuve et doit payer les 14 352 euros de frais de restauration.


2013

Pinoncelli offre et présente au MAMAC de Nice un urinoir personnel signé R. Mutt



La création de Fountain.


Une fine analyse du jugement de Tarascon (1998)
Retour sur l'affaire Pinoncelli, d'Agnès Tricoire.

Rencontre avec Pierre Pinoncelli : l'urinoir brisé


On trouve dans le Dalloz de 2000 le jugement du tribunal de Tarascon et une analyse de ce jugement abondamment et justement citée :
De l'urinoir comme un des beaux arts : de la signature de Duchamp au geste de Pinoncely, par Bernard Edelman 

Les 17 versions de Fountain






C'est en 2008 que Jean-Jacques Aillagon, ex ministre de la culture (2002-2004) dans les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin, initie les expositions d'art contemporain dans le domaine du Château de Versailles dont il est alors président (2007-2011) tout en continuant un temps à siéger au Palazzo Grassi de son ami, le collectionneur et mécène François Pinault qui lui prête généreusement ses œuvres.


Ni oui ni non
 
En 2015, c'est au tour du plasticien britannique Anish Kapoor de présenter son travail dans le prestigieux domaine.
Dès le début de l'exposition, on déplore que, "comme d'habitude", l’œuvre fasse scandale chez des esprits rétrogrades, alors que depuis de nombreuses années, l'art contemporain passe totalement inaperçu (qui se souvient de Lee Ufan, de Giuseppe Penone, de Xavier Veilhan ou de Bernar Venet exposés eux aussi à Versailles ?) auprès du grand public ignorant qui y voit tantôt une décoration rigolote, tantôt des tas de ferraille, chacun appréciant ou subissant sa présence dans l'espace public sans percevoir sa portée.
Il y a fort à parier que les œuvres de M. Kapoor n'auraient pas eu davantage d'effet si celui-ci n'avait prétendu qu'une œuvre déjà exposée sous le titre de Dirty corner représentait maintenant le Vagin de la reine Marie-Antoinette. .





Dirty corner avait été exposée à Milan en 2011, dans un ancien entrepôt de tramways, sans déclencher la moindre protestation, et le même non-événement se serait déroulé s'il avait succédé sur l'esplanade Beaubourg au pot doré de Jean-Pierre Raynaud



Face au château, il y aura une mystérieuse sculpture en acier rouillé de 10 m de haut, qui pèse plusieurs milliers de tonnes et avec des blocs de pierres tout autour. Là encore, à connotation sexuelle : le vagin de la reine qui prend le pouvoir. Anish Kapoor



La question qui fâche est venue d'Angleterre et du journaliste de The Independent. «Avez-vous ou n'avez-vous pas employé cette expression «Le vagin de la Reine» pour parler de votre installation? Vos propos ont-ils été simplifiés et cités hors contexte?». Silence dans la salle, c'était l'heure de vérité. «Je voulais créer quelque chose d'obscur, de désordonné, dans ce paysage qui est l'ordre même, où, par la vision si nette de Le Nôtre, les collines ont été aplanies pour donner l'illusion que l'eau se déverse sur vous, pour servir le pouvoir du roi et son image», a expliqué longuement Anish Kapoor. «Je ne voulais pas faire de commentaires là-dessus. Je voulais mettre au jour ce qui est sous la surface des choses, comme des fouilles, si vous voulez. Bien-sûr qu'il y a une connotation féminine, on pourrait dire sexuelle, dans mon œuvre, en général. Ce n'est pas là, ma question. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi cela devient un problème, puisque le corps est une question universelle. Je ne m'intéresse pas aux interprétations particulières de mon travail. Ce qui m'intéresse, c'est comprendre le processus d'une œuvre. Alors, je dirais oui et non à votre question, ni oui ni non, en fait». 
 
Grâce à cette nouvelle dénomination qu'il assume tout en la niant et nie tout en l'assumant afin de pouvoir jouer tout à tour et simultanément le rôle d'aiguillon et de victime, l'artiste assurait aussitôt un énorme retentissement à son travail.

En effet, la ville de Versailles regorge de réactionnaires très attachés à l'Ancien Régime et qui portent une véritable vénération aux souverains exécutés en 1793. Les attaquer d'une manière aussi basse tout en saccageant les jardins de Le Nôtre, symboles de l'ancienne culture française, ne pouvait que les exciter. De plus, la reine Marie-Antoinette, héroïne d'un récent biopic réalisé par une cinéaste américaine à succès, jouissait d'une forte notoriété chez les consommateurs de culture mainstream pour qui elle représentait une adolescente révoltée contre un milieu guindé. "L'anus du roi", bien que choquant pour les royalistes, n'aurait pas eu le même écho international.


C'est leur réaction violente, et non l'œuvre, qui renforcera la renommée de M. Kapoor, non seulement en France, mais dans le monde entier.
Grâce à elle, le financier qui achètera une œuvre d'Anish Kapoor sur les conseils d'un expert en collection pourra ainsi se voir en rebelle, non conformiste, libéré des diktats du bon goût, mais aussi en héritier du prestigieux Roi Soleil.



 
La première dégradation de Dirty Corner ne consistait qu'en quelques éjaculations de peinture jaune rapidement effacées par des restaurateurs




Après les déclarations hostiles d'esprits rétrogrades, l’œuvre fut saccagée une première fois le 17 juin par quelques pollockiennes giclées de peinture jaune qui provoquèrent de nombreuses réactions de la part des autorités.

Dégrader une première fois l'œuvre d'Anish Kapoor était intolérable : c'était une atteinte à la liberté de création, que j'avais fermement condamnée, car s'en prendre à l'œuvre des artistes, c'est s'en prendre aux valeurs universalistes de la culture - c'est à dire à la liberté et à la dignité humaine. Fleur Pellerin, Ministre de la culture


Mais c'est la seconde dégradation, le 6 septembre, qui permit à M. Kapoor d'étendre son audience à travers toute la planète : parmi les nombreuses inscriptions peintes à la peinture blanche, certaines étaient en effet antisémites.




 


Parmi les inscriptions peintes, plusieurs étaient antisémites




Au lieu de bêtement les faire effacer pour de nouveau restaurer l’œuvre comme on venait de le faire pour la peinture jaune, l'artiste eut l'idée astucieuse de demander à ce qu'on les laissât en témoignage de la barbarie de ceux qui contestaient sa présence dans le Château de Versailles et qui se trouvaient ainsi tous assimilés à des nazis.
C'est une idée évoquée à chaque destruction d’œuvre d'art ou de monument symbolique (Hôtel de ville de Paris, Cathédrale de Reims, St Michael's Cathedral de Coventry, World Trace Center) que de laisser intactes les ruines de ces symboles de culture ou de liberté pour témoigner de la barbarie des vandales. Personne n’appliquerait la même idée à la dégradation de sa voiture ou du mur de son jardin par des tagueurs, fussent-ils antisémites. Ainsi, Dirty Corner se trouvait de fait élevé au rang des plus forts symboles de la culture, au moins égal au Château de Versailles que prétendaient défendre ses infâmes contempteurs.




M. Kapoor, que son son patronyme faisait supposer d'origine indienne, se présenta alors comme Juif, Musulman, Indien et Chrétien.


Les tags vont-ils être nettoyés ?
Non. Pour le moment, ces inscriptions antisémites ne sont plus visibles au public, mais ce n’est pas pour autant qu’elles vont être effacées. « Elles vont être dissimulées par un acte artistique. Anish Kapoor et son équipe ont décidé de les masquer, mais pas de les nettoyer », a expliqué le service de presse du Château de Versailles à 20Minutes. Un choix pris vendredi, avant même la décision de justice. Ces opérations devraient commencer dès ce lundi.
 
Voilà ce qui conduit à l’exclusion de nos frères et sœurs syriens. Honte sur la France du seul fait d’une minorité pleine de haine ! C’est une attaque violente contre l’esprit humain et la culture. Je l’ai écrit et je le répète : je suis un juif. Je suis un musulman. Je suis un hindou. Je suis un chrétien »
 
Lors de la première dégradation, je m'étais déjà interrogé sur le bien-fondé d'un nettoyage. Cette fois, je suis convaincu qu'il ne faut rien retirer de ces insultes, de ces mots propres à l'antisémitisme que l'on voudrait aussitôt oublier. J'en ai discuté avec Catherine Pégard, la présidente du domaine royal de Versailles, et avec Fleur Pellerin, le ministre de la Culture, une femme courageuse qui s'est déplacée sur l'heure et a mesuré aussitôt la gravité des faits. Désormais, ces mots infamants font partie de mon œuvre, la dépassent, la stigmatisent au nom de nos principes universels. Et je préfère écouter cette petite voix qui me dit d'oublier l'artiste et de penser au citoyen. «Dirty Corner» restera donc ainsi, de notre décision commune, et se montrera ainsi aux visiteurs et aux touristes de Versailles. Je défie désormais les musées du monde de la montrer telle quelle, porteuse de la haine qu'elle a attirée. C'est le défi de l'art.

L'antisémitisme restant une valeur sure sur le marché du scandale, de nombreux journaux firent état de la présence inacceptable de ces inscriptions sacrilèges, jusqu'à ce qu'une association et un élu portassent plainte. Le 19 septembre, le Tribunal administratif de Versailles ordonna qu'on cessât d'exposer au public des inscriptions attentatoires à la dignité humaine (cf antisémites).


Le juge des référés a d’abord précisé que la liberté de création et d’expression artistiques implique le respect du droit moral de tout auteur sur son œuvre et les formes qu’il entend lui donner, mais que, lorsque cette œuvre est exposée publiquement, cette liberté doit se concilier avec le respect des autres libertés fondamentales s’appliquant dans l’espace public, dont celle protégeant chacun contre les atteintes à la dignité humaine.

Blessé au plus profond de lui-même, l'artiste trouva une image forte et bien dans l'air du temps pour exprimer sa détresse :
Je me sens comme une fille qui s’est fait violer et à qui l’on ordonne d’aller se rhabiller dans un coin.
 

M. Kapoor, et c'est là qu'on mesure son grand talent, trouva pourtant une parade : il se contenta de faire recouvrir les inscriptions de feuilles d'or, et il le fit savoir. Ainsi, les dégradations feraient désormais partie de l’œuvre, même si elles n'étaient plus vues, ce qui rapprochait l’œuvre des fondamentaux de l'art contemporain. 
En revanche, il ne jugea pas utile de laisser apparentes les inscriptions non antisémites que le jugement du tribunal de Versailles ne l'obligeait pas à faire disparaître aux yeux du public comme attentatoires à la dignité humaine. "La reine sacrifiée deux fois outragée", "le canon phallique tire du sang dans le "coin sale" pauvre taré", "Ceci est une mutilation sexuelle", etc. De telles inscriptions ne méritaient pas qu'on les retînt, car elles ne contribuaient pas à la dimension essentiellement "dirty", et donc obscène, de l’œuvre, seule capable d'assurer sa notoriété et sa valeur.


La France m'est trop chère. Je refuse de croire qu'elle se cantonne à une minorité d'esprits étriqués qui s'approprient l'espace public. Anish Kapoor
 
Ce scandale, sinon provoqué, du moins magnifiquement canalisé, profite à la fois à l'artiste et à l'Établissement public du Château de Versailles, puisqu'il renforce leur notoriété en les présentant comme des défenseurs de la culture en butte aux persécutions nazies. Et pourtant, l'un comme l'autre sont parfaitement étrangers à cette polémique méprisable :
 
Certains considèrent et disent que cette polémique est bonne pour votre cote. Que répondez-vous?
Monsieur Bustamante a dit ça, m'a-t-on rapporté [artiste français et nouveau directeur des Beaux-Arts, NDLR] . C'est quelque chose qui n'entre même pas dans mon esprit. Cela n'a rien à voir avec moi. Je ne vois pas comment pareilles insultes peuvent être un plus ou un mal pour le marché d'un artiste. C'est un raccourci absurde. Honte sur ceux qui disent pareilles choses.

 
La ministre de la culture, quant à elle, se déclare « en colère » et « choquée » par cette atteinte à la liberté de création et d'expression pour laquelle la France s'est battue durant plusieurs siècles »


 

Le plus long toboggan du monde
 
Pour les jeux Olympiques tenus à Londres en 2012 M. Kapoor avait réalisé la plus haute sculpture du Royaume Uni. A la manière de la Tour Eiffel, l'ArcelorMittal Orbit sculpture devait assurer son financement grâce aux milliers de visiteurs désireux de découvrir de son sommet une vue imprenable sur Londres. Las, les amateurs ne furent pas au rendez-vous et l'ArcelorMittal Orbit sculpture perdait en 2014 10000 livres (13000 euros) par semaine.


 
Avec ses 114 mètres de haut, cette oeuvre d'Anish Kapoor serait la plus grande sculpture du monde, mais elle reçoit 150000 visiteurs par an alors qu'on en prévoyait 350000.


Pour renforcer son attractivité, il fut donc décidé de la transformer, grâce à quelques aménagement, en plus long toboggan du monde.
Pas question, cette fois-ci, de dégradation de l’œuvre ou d'atteinte aux droits de l'artiste. Étrangement, la disneylandisation de sa création ne pose aucun problème à M. Kapoor qui y collabore avec empressement.


 
Non contente de conserver son record de plus grande sculpture du monde, l’œuvre de M. Kapoor deviendra aussi le plus long toboggan du monde grâce à la collaboration de l'artiste belge Carsten Höller.



La liberté de création
 
En réponse à plusieurs attaques contre des œuvres monumentales évoquant la sexualité ou la digestion installées dans des lieux publics (dont Dirty Corner) le projet de loi de décembre 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine débute en son article 1 par : la création artistique est libre. (son article 4 garantit la mise en valeur des œuvres de création dans l’espace public, ce qui permettra de renforcer la lutte contre les ennemis de la liberté)

En février 2016, l'astucieux plasticien britannique achetait le brevet du noir le plus noir, le Vantablack, se réservant ainsi le droit exclusif de son utilisation.


It's blacker than anything you can imagine. It's so black you almost can't see it. It has a kind of unreal quality.

Quelques esprits chagrins, parmi ses confrères, s'émurent de ce privilège, pourtant respectable, puisqu'il provenait d'une transaction financière.

Six barres de bois rond. 1975. Bois peint. 120 cm Diamètre : 10 cm. MNAM, Paris


André Cadere (Andrei Cădere) est un artiste roumain né en 1934 à Varsovie où son père était ambassadeur. Il a commencé à travailler en Roumanie et ne s'est installé à Paris qu'en 1967, lorsque son père a du s'y réfugier après cinq ans d'emprisonnement. Mêlé à l'effervescence des milieux du lettrisme et de l'art conceptuel, il a tout d'abord tâté de la tendance op art. C'est un 1970 qu'il mettra au point le procédé qui lui a valu sa notoriété.



El arte no es para los pobres, Pierre Valls, 2013. Tatouage

Pierre Valls, qui s'est formé à l'art contemporain en France et en Espagne, travaille aujourd'hui dans ces deux pays, mais aussi au Mexique et en Argentine.

Il dirige sa recherche autour de relectures de la violence, et porte sa réflexion sur les grands récits fondateurs auxquels la société s'identifie.


El arte no es para los pobres, Pierre Valls, 2013. Impression sur t-shirt

L'art n'est pas pour les pauvres permet de faire surgir un débat social dans le monde réel en l'imprimant sur une chemise, sur une carte de crédit ou même sur la peau. Sans rien modifier de son activité ordinaire, le porteur du t-shirt arbore le message partout où il se trouve et le montre ainsi aux personnes qui croisent son chemin et partagent ses activités. Le t-shirt se métamorphose alors en pancarte brandie dans un espace public, c'est un vêtement qui parle par lui seul et qui positionne celui qui le porte en le chargeant d'une signification particulière.

Volontiers ironique et dérangeant, Pierre Valls a réalisé (2014) une performance pleine d'humour consistant à chanter l'hymne national mexicain devant le postérieur d'un complice tandis que La Marseillaise (2015) consistait à interpréter les deux premiers couplets de l'hymne national Français en arabe afin d'en souligner le caractère agressif et intolérant.





Himno nacional, Mexico, 2014. Performance

Exposer le vide est une pratique récurrente dans l'histoire de l'art de ces cinquante dernières années. Loin d'être répétitives, ces nombreuses expositions nous permettent d'appréhender les infinies facettes d'un vide qui peut aussi bien nous faire entrevoir le rien que contempler le néant.