Exposer le vide est une pratique récurrente dans l'histoire de l'art de ces cinquante dernières années. Loin d'être répétitives, ces nombreuses expositions nous permettent d'appréhender les infinies facettes d'un vide qui peut aussi bien nous faire entrevoir le rien que contempler le néant.
Yves Klein, galerie Iris Clert, Paris, 1958.
Dès 1958, Yves Klein expose le vide d'une galerie qu'il a entièrement repeinte en blanc. Il fait ainsi ressentir au spectateur la quête picturale d'une émotion extatique et immédiatement communicable, un état sensible pictural imprégné par sa seule présence physique et spirituelle.
Image du film La spécialisation de la sensibilité à l'état de matière première en sensibilité picturale stabilisée, avril-mai 1958. Galerie Iris Clert, Paris, France |
Robert Barry, Some places to which we can come, Kunsthalle, Nurnberg, 2002 (œuvre initiée en 1970 avec Marcuse Piece).
Les espaces d'expositions deviennent « Des lieux où nous pouvons venir, et pour un moment, être libre de penser à ce que nous allons faire " (Essay on Liberation, Herbert Marcuse, 1969)
Robert Barry, Closed Gallery Piece, 1969-1970, Los Angeles, Amsterdam, Turin.
Amplifiant l'oeuvre d'Yves Klein, Barry n'expose rien dans des galeries fermées au public, en indiquant aux éventuels visiteurs la fermeture de la galerie durant le temps de l'exposition.
En 1969, Robert Barry va au-delà du vide en exposant dans une galerie fermée durant la durée de l'exposition. Closed Galery, 1969 |
The Air-Conditioning Show d'Art & Language (1966-1967).
On montre les mécanismes internes de l'institution muséale, ici le système permettant de fixer les conditions de température des salles d'exposition vides. Réglé trop bas, il révélait ainsi une "normalité anormale". Le but était d'évoquer les conditions économiques dissimulées entourant la tenue d'une exposition dans une galerie.
Le collectif Art & language Terry Atkinson et Michael Baldwin), créé en 1969, fut le support d'une des plus intenses réflexion théorique du XXe siècle.
Art & Language’s ‘Air Conditioning Show’ (1966-67) |
stanley brouwn. Galerie Micheline Szwajcer, Brussels, 2008
Spécialiste du vide, auquel il a consacré la plus grande partie de sa vie, stanley brouwn n'expose généralement rien et n'est pas présent lors du vernissage de ses expositions.
Un sobre cartel : Le rapport entre la taille de votre corps et la longueur, la largeur et la hauteur de chaque espace de la galerie porte le visiteur à s'interroger sur son mode de présence.
Robert Irwin, Experimental situation, ACE Gallery, Los Angeles, 1970.
Durant octobre 1970, Robert Irwin visite chaque jour seul la galerie, cherchant ce qu'il pourrait bien y exposer, et remplissant ainsi l'espace par sa pure contemplation.Experimental situation |
White Light/White Heat, Chris Burden, 1975.
L'exposition n'est pas purement vide, puisque l'artiste est physiquement présent. Allongé sur une surface triangulaire proche du plafond, il demeure cependant caché pour le public subjugué par cette présence/absence qu'on peut évidemment rapprocher de l'expérience religieuse.
Chris Burden est demeuré plusieurs jours dissimulé sur ce faux plafond |
Laurie Parsons, galerie Lorence-Monk, New York, 1990.
De cette exposition, Laurie Parsons écrivait :
"Je sentais qu'il était essentiel que je considère la galerie en elle-même, plutôt que de continuer à l'utiliser aveuglément comme un cadre. Avec son espace physique et son organisation sociale complexe, elle était aussi réelle et aussi significative que l'œuvre d'art qu'elle abritait et qu'elle commercialisait".
Le vide permet de célébrer l'architecture du musée (un bâtiment conçu par Ludwig Mies van der Rohe) , signifiant que l'art y est déjà présent et qu'il n'est pas nécessaire d'y ajouter des œuvres. Le visiteur peut lire un dépliant conçu par Huws avec des fragments de texte qu'elle a écrit, et dont la lecture, de manière analogue à l'expérience de l'espace, parvient à créer le sens de l'approche d'une œuvre d'art.
Maria Eichhorn, Money at Kunsthalle Bern, Kunsthalle Bern, 2001.
Le vide est ici renvoyé à sa dimension économique. Devant le piteux état du musée, l'artiste laisse son exposition vide, permettant d'en consacrer le budget à la rénovation du bâtiment.
Une exploration du musée permet d'en découvrir la dégradation : fissures, fuites dans la toiture, sanitaires démodés. |
La pièce apparemment vide est en fait un dispositif d'écoute caché. Typique du travail d'Ondàk, cette intervention en apparence anodine porte un spectateur qui s'attendait à ce qu'on lui montre quelque chose à s'interroger.
Rejet, dégoût, perplexité... Le public est toujours profondément touché par une exposition vide. |
Dans une dizaine de salles du Musée national d'art moderne, l'exposition rassemblait, de manière inédite, des expositions qui n'avaient rien montré, laissant vide l'espace pour lequel elles étaient pensées.
Pour aller plus loin :
No Show Museum. Une anthologie exhaustive des expositions vides et des œuvres d'art contemporains tournant autour de cette notion inépuisable.
Une relation esthétique impossible : les expositions dans lesquelles il n'y a rien à voir. Par une chercheuse en esthétique, une étude sur ces expositions dans lesquelles l’œuvre invisible est souvent difficile à percevoir.
Un symposium a été consacré à l'exposition de 2009. De nombreux spécialistes ont pu y échanger leurs réflexions sur le vide. Leur conclusion a été filmée.
Quelques citations sur rien.
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